Aki Sano au Quartier Général de Cookpad global au Royaume Uni
Cookpad a été fondé il y a 21 ans au Japon par Aki Sano.
A présent près de 100 millions de personnes utilisent Cookpad tous les mois et plus de 4 millions de recettes ont été publiées sur la plate-forme. La plateforme est disponible en 23 langues dans près de 70 pays à travers le monde.
Alors comment Aki a-t-il eu l’idée de Cookpad ? Nous lui avons posé cette question lors d’une première interview sur son rôle et sur l’histoire de Cookpad . Cette histoire pourrait se résumer à la résolution d'un problème personnel et se résumer en quelques lignes mais en réalité c’est bien plus que cela. Donc, voici la version longue de l’histoire de Cookpad.
Alors, Aki, racontez-nous comment tout a commencé ? Pourquoi avez-vous créé Cookpad ?
L'histoire commence longtemps avant que je ne démarre réellement l'affaire. Quand j'étais à l'université, je me suis rendu compte qu'il y a trois choses qui peuvent créer un changement important dans la société: la technologie, les croyances des gens et la politique.
Chacune de ces trois choses façonne notre société et change son cours.
J'ai toujours aimé la technologie. J'ai toujours eu une idée claire de son impact sur nos vies et j’ai une vision de l'avenir.
Je n'ai jamais vraiment aimé la politique ou les changements qui découlent de la réglementation. J'aime les mouvements populaires, mais je considère que la prise de décision du sommet vers la base est très limitée et qu'elle a souvent un impact négatif.
Je déteste juger quelque chose sans en avoir d’abord une connaissance personnelle. Sans quoi cela ne vous mène nulle part : je crois que l’on apprend en faisant soi-même. Si vous essayez vous-même, alors vous pouvez améliorer les choses. J'ai donc commencé à explorer le monde de la politique et de la réglementation à travers celui des organisations non gouvernementales.
Parce que j'étais intéressé par l'énergie alternative...
… Vous étiez ?
Oui, j'ai construit une voiture à énergie solaire au lycée et j'ai étudié les énergies alternatives à l'université et j'étais très impliqué dans ce domaine. Nous avons même eu un camp d'été solaire une année.
Quoi qu'il en soit, à cause de cela, le moyen le plus simple de s'impliquer était l'agenda des énergies renouvelables. Je me suis retrouvé à la conférence de la Commission des Nations Unies sur le développement durable (CDD) à New York. La CDD est responsable de la mise en œuvre d'Action 21, le suivi du Sommet de la Terre à Rio.
Ca a dû être plutôt cool !
Honnêtement, la conférence était plutôt ennuyeuse. Les pays sont en désaccord sur certains mots des sous-clauses ... ce genre de détails. C’est un travail de très longue haleine
Mais pendant que j'étais là-bas, j'ai rencontré des gens intéressants. Dont Abdu d'Antigua et Barbuda dans les Antilles.
La première chose que l’on remarque à propos d'Abdu c’est son sourire. Il semble provenir d'un profond sentiment de bonheur. Cela m'a fait penser “C'est ce que je veux faire : aider les gens à trouver cet état de bonheur et de bien-être”.
Avez-vous demandé à Abdu ce qui le rendait heureux ?
Bien sûr ! Je lui ai posé beaucoup de questions. Il avait étudié aux États-Unis et vivait maintenant à Antigua, où il avait une ferme. Il m’a expliqué comment l'île avait connu des moments difficiles, se reconstruire après l'indépendance et subir des catastrophes naturelles comme les ouragans. Il m'a parlé de sa ferme qu'il cultivait avec des systèmes très naturels et en permaculture. Il y avait aussi beaucoup d'arbres ... ce qui m'a surpris parce que j'étais habitué aux fermes aux États-Unis et au Japon qui sont conçues uniquement pour la valeur économique, donc pas d'arbres du tout.
Alors que je croyais créer un avenir meilleur avec les voitures électriques ou le succès économique, cela n'avait rien à voir avec le bonheur simple d'Abdu. C'était complètement différent. Alors que je croyais que le bonheur viendrait en en faisant plus, j’avais en face de moi la preuve que le bonheur venait en en faisant moins.
Je pouvais presque entendre le bruit de toutes mes valeurs et tout ce en quoi je croyais s'écroulant autour de moi.
Cela a dû vous faire repenser vos choix de vie.
Oui, c'est vraiment le cas. Quand je suis rentré au Japon, j'ai abandonné l'université pendant un moment. (C'est facile à faire au Japon - nous travaillons très dur pour y arriver, mais la vie est assez facile quand vous y êtes !) Je ne pouvais tout simplement pas continuer. Je me sentais vraiment perdu. Je suis donc resté à la plage, vivant simplement et réfléchissant beaucoup au genre de vie que je voulais vivre, et le type de contribution que je voulais apporter. J'avais presque peur de faire quoi que ce soit parce que je pensais que tout pouvait avoir un impact négatif. Je pensais vivre une vie autosuffisante -dans une maison tout simple en cultivant mes propres légumes. Mais j'avais alors trop d'énergie pour ça et je voulais avoir un réel impact.
Un jour, je faisais quelques achats de nourriture dans le magasin local. En regardant les tomates, je me suis dit : pourquoi dois-je acheter cette tomate importée de loin quand il y a des tomates cultivées pas loin par le fermier d’à côté ? Pour la première fois depuis environ un an, cela me semblait un choix simple et clair : acheter des tomates au producteur local serait mieux que d'acheter des tomates importées et trop emballées.
Cela semble simple, mais ce n'est pas facile à faire.
Bien sûr, il faut trouver un fermier local et accepter un prix différent... mais je me suis dit que au moins je pourrais aider les gens à acheter de cette tomate localement pour équilibrer un peu les choses.
J'avais un ami qui connaissait certains fermiers locaux; et je connaissais les étudiants à l'université. J'ai donc commencé à vendre des produits des agriculteurs locaux sur le campus. Au début, j'ai créé une liste de diffusion pour tout le monde sur le campus et certaines personnes passaient des commandes; le fermier garerait son camion à l'une des portes et les gens venaient chercher leur commande. S'il restait quelque chose, nous le vendions aux gens de passage.
Le bouche à oreille s'est répandu rapidement, cette action est devenue vraiment populaire très vite. J'ai construit un site web parce que faire les commandes via une feuille de calcul était pénible ! J'ai mis en place plus de points de ramassage ... Plus le projet prenait de l’ampleur, plus il y avait de problèmes. Il me semblait que quelque chose n'allait pas dans le design. Je l'ai gardé pendant environ deux ans.
Pourquoi seulement 2 ans ?
Eh bien, c'est arrivé à l'époque où je devais être diplômé de l'université. Et bien que je ne m’y n'attende pas vraiment : ça a été un grand changement.
Mes amis se entraient dans des entreprises ou poursuivaient dans des écoles supérieures. Je me suis dit qu'il valait mieux être maître de son propre destin et créer ma propre entreprise. J'ai aussi été intrigué par le concept de société : une entité qui a son indépendance et qui est un être à part entière. J'ai donc créé ma propre entreprise, COIN.
Pourquoi l'avez-vous appelé COIN ?
Le nom a plusieurs significations différentes.
Cela vient de mots ou plutôt d'idées que j'aime : CO de la communauté et de la collaboration et IN de l'innovation et de l'interaction.
Cela concerne aussi bien sûr l'argent (“coin” en anglais signifie pièce de monnaie). Qu'est-ce que l'argent ? Il s'agit de l'échange de valeurs; et le maintien et la croissance de la valeur. Mais l'échange de plus petites quantités semble donner plus de valeur. Par exemple, si vous traitez une affaire à 100 millions de dollars, la précision est difficile à mesurer; vous ne pouvez pas le voir. Mais si vous faites une affaire à 1000$ ... alors la valeur est précise, on peut la mesurer facilement. J'ai fait COIN pour en savoir plus sur l'argent.
Alors, quel était le plan pour COIN? De quoi s'agissait-il ?
Je n'avais pas de plan précis pour COIN...
Vraiment ?
Vraiment ! J'ai eu beaucoup d'idées. Les trois qui se rapprochaient le plus de la réalité étaient : la vente de légumes, en me basant sur ce que j'avais appris auparavant; quelque chose autour du logement qui m'intéresse vraiment aussi; et l'idée qui devint finalement Cookpad. J'ai fait tous les trois pendant un moment en tant que projets secondaires pendant que j'avais un travail qui m'a payé aussi !
Comment est née l'idée de Cookpad ?
J'ai beaucoup appris en vendant des légumes en ligne. La logistique n'était pas facile. Et les gens n'ont plus l'habitude de manger localement et de façon saisonnière. Il n'y a plus cette connexion avec l'environnement ou la communauté locale. Il peut donc sembler ennuyeux d'avoir seulement les mêmes types de légumes pendant trois mois à la fois. Cela devient répétitif ! Pourtant quand je mangeais avec les familles des fermiers, ils utilisaient leurs propres produits saisonniers et ils avaient tellement de façons créatives d’apprécier des mêmes produits. C'était incroyable.
Cuisiner est le comportement qui aide à cela. Mais c'est considéré comme une corvée.
J'ai eu beaucoup de chance en grandissant : j'ai vécu dans une famille qui se réunissait tous les jours autour de la table. Nous devons bien manger, non?
Se réunir pour les repas nous a, non seulement nourrit de notre alimentation mais aussi les uns des autres. Quand je rendais visite à mes amis chez eux, ce n'était pas pareil; il était souvent déconnecté et en mauvaise santé aussi bien physiquement qu’ émotionnellement.
La nourriture est mésestimée tout comme la cuisine ...
Lorsque nous choisissons de cuisiner, c'est un choix qui a un impact sur nous-mêmes, les gens pour qui nous cuisinons, les producteurs et les fermiers à qui nous achetons et l'environnement au sens large.
Je me suis dit que si je pouvais aider les gens à profiter de la cuisine de tous les jours, j'aurais un impact positif sur le monde.
Et pourquoi Cookpad l'a emporté sur les autres idées ?
Au début ce n’était pas le cas ! Cookpad a commencé comme une entreprise d'abonnement: 5 $ / mois pour mettre votre recette sur la plate-forme. Je pense que c'était un abonnement de 6 ou 12 mois car c'était l’idée de départ.
Attendez ... les gens qui ont souscrit à mettre leur recette sur la plate-forme, pas pour accéder aux recettes? C'est différent.
Oui. Je me suis concentré sur les gens qui aiment cuisiner. La cuisine est un processus incroyablement créatif ... mais inévitablement suivi par la destruction, n'est-ce pas? Je pense que c'est le seul processus créatif où vous détruisez votre propre création. Dans le bon sens, puisque vous le mangez. J'essayais de capturer cet élément de créativité.
L'autre grande partie de la cuisine est quand vous obtenez une réponse des gens. Si vous cuisinez tous les jours pour les mêmes personnes, vous n'obtenez peut-être plus le même niveau de réponse.
Comment saviez-vous que Cookpad fonctionnerait ? Combien d'utilisateurs avez-vous eu au cours des trois premiers mois ?
Eh bien, la cible était 50 000 utilisateurs dans les deux premiers mois ... en réalité, il y a eu 100 utilisateurs au cours des trois premiers mois …
Vous avez un peu raté la cible on dirait !
Oui! J'ai pensé 'peut-être que ça ne marcherait pas' ...
J'ai donc écrit à tous les abonnés et demandé comment ils aimeraient récupérer leur argent.
Au fait, rappelez-vous que c'était en 1998, donc au tout début de l'Internet, nous avons dû gérer les abonnements par la poste !
Quoi qu'il en soit, la plupart des gens ont dit 'Vous n'avez pas besoin de rembourser l'argent. J'aime le service ! Combien dois-je payer pour le maintenir ?! '
Alors qu’avez vous fait ?
J’ai rendu Cookpad gratuit. Et lui ai donné son nom actuel : Cookpad - auparavant il s'appelait kitchen@coin. J’ai aussi recentré l’objectif pour que cela soit plus simple.
Et c’était encore pour un projet de passion ? Quand vous avez décidé de vous concentrer complètement sur Cookpad ?
Oui. Au départ je n’ai pas démissionné les premières années … Je pense que c’était en 2002. J’ai lu un livre “Good to Great” et cela m’a vraiment touché. Les entreprises citées n’ont peut être pas résistées à l’épreuve du temps mais les principes étaient là.
Je me suis dit qu’il était temps soit que je m’engage complètement dans Cookpad soit que j’arrête là. Je pensais que je pouvais avoir un impact positif sur le monde entier. J’ai donc décidé de quitter mon travail et abandonné tous mes autres projets pour me concentrer uniquement sur Cookpad. J’ai mis à jour l’infrastructure pour permettre à la plateforme d’évoluer. Et la communauté a commencé à grandir. En 2003, nous avons atteint 1 millions d’utilisateurs au Japon, ce qui était une étape importante. Spécialement, lorsque le plus grand magazine culinaire de l’époque comptait 700 000 abonnés.
Et puis la communauté a continué de grandir.
Donc, c’est l’histoire derrière Cookpad. Bon, au moins pour les 6 premières années.
Voici une petite vidéo d'une interview d'Aki